NUIT OBSCURE DE L'ÂME

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ONGOING SERIE : Faces of the son

Dès la formation de la vie in utero, l’embryogenèse enseigne que certaines étapes de formation de la vie s’effectuent par mort cellulaire ; ce processus s’appelle l’apoptose. Ainsi en est-il de la main qui apparait sous la forme originelle d’une palme (sans espace entre les extrémités) avant que les doigts ne s’individualisent par destruction des cellules qui les joignent.

La mort est donc présente dès la conception de la vie. Cette présence suscite rarement réflexion dans la relation à construire avec elle. Le choix porte plutôt à l’oubli de sa potentialité pour ne retenir que l’expulsion et le cri.

Pourtant, « Dès qu'un homme est né il est assez vieux pour mourir » (Heidegger).

Notre condition de mortel est posée dès notre naissance, et ceux qui « donnent » la vie devraient l’avoir appris : il est une simultanéité -en donnant la vie terrestre, on donne aussi la mort potentielle.

Mais en occident, la mort fait peur, et tout ce qui pourrait en rapprocher ou la rappeler est à fuir, à chasser, à éviter, ne pas côtoyer - cécité commune illusoire et obstinée.

La mort se parque dans quelques espaces consacrés, quelques cérémonies, quelques cimetières, quelques hôpitaux … En temps de Covid, le corps même va jusqu’à manquer, absent, dissimulé, ne pouvant pas être soumis au regard d’un dernier au-revoir.

Il est indéniable que la mort/fin de vie, perte d’un être cher, est un chaos abyssal, souvent vécu comme insurmontable. Le « je » ne peut s’y préparer. Il semble que certains deuils soient impossibles à faire. Et pourtant.

Pourtant, la plupart du temps, ceux qui restent dépassent et continuent.

Est-ce à dire que la mort leur deviendrait désormais familière ? Que la perte de l’Autre, perte d’une partie de soi, s’inscrirait dans un autre espace–temps autre que celui de l’irréversibilité ?

Ou est-ce l’inscription de l’idée que la mort n’est pas un accident mais une certitude, puisque nous ne sommes que de passage ?

Faces of the son est un hommage à mon frère. Cette série photographique picturale symbolique est à la jonction de la vie et de la mort, une vie qui n’en n’est plus tout à fait une, une mort qui semble s’être écartée, pour un temps.

Faces of the son est un état de conscience répété d’une condition de mortel. Une rencontre avec la mort qui n’a pas voulu de lui. Une rencontre avec la maladie qui fait de son existence un calvaire quotidien.

Faces of the son est construit dans le cri d’un Habeas Corpus … Habeas corpus ad subjiciendumqui signifie littéralement « que tu aies le corps pour le soumettre ».

Cet énoncé qui s’adresse au geôlier [« Aie le corps du prisonnier avec toi en te présentant devant la Cour afin que son cas soit examiné »] impacte le prisonnier selon que son corps répond ou ne répond plus.

Qu’examiner lorsque le corps ne répond plus ? Que devient la liberté de celui dont le corps fait défaut ? Quelle liberté individuelle (contrôle sur son propre corps) possède celui dont une partie du corps meurt, livré à la maladie ? Et pour quel juge–ment ?

Faces of the son touche le visage et le corps de mon frère et s’interroge sur l’âme. Car l’âme saigne comme saigne le cœur de ses proches, dont le quotidien ne peut plus être tout à fait le même. Il y a eu un avant. Avant la souffrance qui brûle, la douleur qui broie, le désespoir qui gémit, le tourment qui rend fou. Les jours qui s’éteignent et les nuits obscures qui n’en finissent pas.

Faces of the son s’inscrit dans un autre rapport au temps, au corps, à la maladie, à la vie, à la mort, pour transformer l’épreuve, chacun développant, comme il le peut, son Dasein[1], un « être-là authentique » qui n'est plus tout à fait celui de l’ordinaire. Un dasein comme une proposition, celle d’une autre façon de concevoir la mort, en dehors de l’angoisse nous projetant face auNéant, dans l’idée d’une mort assumée car elle a déjà eu lieu : il est plusieurs façons de mourir à soi-même de son vivant et de renaître, pour que chaque instant de vie prenne un sens ni achevé ni parachevé, lorsque l'existence n'est plus un accomplissement ni une finalité.

Quitter l’attente et assumer notre finitude en tant qu’Être, pour atteindre l’ipséité - l’identité propre en soi qui nous fait unique et distinct.e- tout en s’inscrivant dans une continuité plus large et commune, celle du lien que nous parvenons à reconstruire, malgré tout.

Un lien au sens de religare (étymologie du mot religion) pour re-lier, refaire lien avec une autre forme de vie qui intègre la maladie et la mort.

Faces of the son, c’est l’histoire d’un visage et d’un corps, ceux de mon frère, qui ne seront plus jamais les mêmes et d’un travail de transcendance et de sublimation par la photographie, pour guérir l’agnostique que je suis.

Gaël Rebel - Août 2021



[1] concept développé par Martin Heidegger dans l’Être et Temps (Sein und Zeit)

CHRISME

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